RESUME
L'Angleterre des années 50… Au cœur de
la (peu) riante campagne du Yorkshire, au delà des collines, se
tient une ferme, celle des époux Tweed. Entourée de
clôtures et de barbelés, elle enferme quelques centaines de
poules. L'acariâtre Mrs Tweed veille de près à la
production d'œufs. Toute poule passant sous la limite inférieure
journalière autorisée est vouée à voir son cou se faire trancher
d'un bon coup de hache par Mr Tweed (par ailleurs abruti
complet…).
Dans ces conditions, les
poules et à leur tête la déterminée Ginger, ne peuvent que
songer à s'évader, s'enfuir loin, "au-delà de la colline"…
Les tentatives se multiplient, les tunnels d'évasion se succèdent
mais sans succès. Mr Tweed et ses deux redoutables molosses
surviennent toujours à temps pour ruiner les projets des belles
poules et, invariablement, Ginger se retrouve au mitard ce qui ne
refroidit jamais sa combativité…
Certaines poules se satisfont de leurs conditions et
négocie au marché noir avec deux rats, en échange de quelques
œufs…
Tout se complique sérieusement
lorsque Mrs Tweed décide de transformer toutes ses poules en
"chicken pies" (tourtes au poulet)… Le salut semble alors
littéralement tomber du ciel par l'arrivée aussi inopinée que
désopilante d'un coq américain de Rhode Island,
Rocky-le-coq-volant…
MON AVIS
Quand les poules ont des dents
Un formidable émerveillement
et un grand bonheur, voilà ce que ce film procure ! Une œuvre
tout à la fois pour enfants et adultes, pleine de références,
clins d'œil, pastiches et autres parodies d'un tas de film
du genre (le film de prisonniers de guerre/camp de concentration).
Certains très connus: "LA GRANDE EVASION"
(The Great Escape, John Sturges, 1962 avec Steve Mc Queen),
"STALAG 17" (Billy
Wilder, 1953, avec William Holden) nommément cité dans
le dialogue, voire Le
Pont de la Rivière Kwaï (The Bridge on the River Kwaï,
David
Lean, 1957, avec Alec Guinness et William Holden), d'autres
beaucoup moins connus, sauf des (télé)spectateurs anglais
et américains gavés de films comparables depuis 1945… Même
si l'on ne parvient pas à identifier toutes ces références,
on appréciera de manière quasi instinctive les parodies, dont
la plupart renvoient donc à "LA GRANDE EVASION", modèle
avoué des réalisateurs. Le "vol " à moto de Steve Mc
Queen en reste bien sûr l'image la plus célèbre et
se retrouve telle quelle avec Rocky et son engin. Le
creusement du tunnel, les inspections sur lesquelles planent
les menaces de châtiment par l'autorité du camp, l'opposition
entre le rigide officier anglais et le GI, etc,. sont autant
de savoureuses parodies…
Notons aussi que le rêve
de Ginger d'emmener les poules de l'autre côté de la
montagne renvoie à celui de la petite Dorothy du Magicien
d'Oz qui, elle, rêve à "Somewhere
over the Rainbow". Mais, lorsque
ce monde paradisiaque sera enfin atteint, c'est une utopie
toute anglaise qui s'étale sur l'écran, digne du "Village
Green" chanté par Ray Davies et les Kinks en 1967. La
seule occupation un tant soit peu sérieuse étant bien sûr
l'enseignement du cricket par Ginger à son yankee chéri…
Mais il faut aussi mettre
l'accent (BBC accent, of course, my dear !) sur un
autre aspect du film, apparemment peu traité dans les
critiques et que seuls des adultes peuvent "saisir". Quelques
années vécues en Angleterre et un certain intérêt porté à
son histoire contemporaine ne peuvent qu'aider !
Ce point, donc, est celui des relations
(assez compliquées) qu'entretiennent Angleterre et
USA…
L'histoire, on le sait, se passe quelques années seulement
après la guerre… L'arrivée de Rocky, "The Flying Rooster
" américain, volant (enfin, façon de parler…) au secours
des poules anglaises doit bien sûr être vu en parallèle des
interventions US dans les deux conflits mondiaux précédents…
Et la complexité des sentiments anglo-américains (amour/haine)
est merveilleusement rendue dans le film…
Disons pour faire court que les Anglais n'aiment pas
les Américains, les méprisent allègrement pour leur ploutocratie,
leur inculture, leur non-histoire passée (et grandiose), leur
façon de substituer l'Empire Américain à celui de la Reine
Victoria sur lequel, on le sait, "le soleil ne se couchait
jamais"… Ah ! et puis aussi, bien sûr, la vulgarité yankee
! Et ce culte de l'argent ! Goddam, sir ! Very shocking,
isn't it ?… Sans parler de cette langue américaine qu'eux,
les Anglais, ne peuvent pas comprendre…
Mais les Anglais n'en restent pas moins
fascinés par les paillettes américaines, en tout premier lieu
par Hollywood et la musique venant de ce pays (Jazz,
Blues, Rock, etc…). Ceci dit, un Anglais reste un Anglais
(et fier de l'être) et se reconnaît toujours, même caché parmi
la foule US (voir Hitchcock, Chaplin, Cary Grant, Charles
Laughton, Sean Connery, oops, pardon, il est Ecossais !)
Les Américains rendent bien la pareille à leurs cousins
grands-bretons: ils les prennent pour des ringards, des coincés,
des chieurs de première catégorie et des gens incapables de
se tirer d'affaire tous seuls (j'ose pas vous dire ce qu'ils
pensent des Français sur ce dernier point…). Pour eux, les
Anglais ne savent pas manger (là, c'est évidemment l'hopital
qui se fout de la charité !), ils leur ont pompé toutes leurs
musiques, et parlent un Anglais qu'eux, les Américains, ne
peuvent pas comprendre…
Alors c'est tout ça que l'on retrouve dans
CHICKEN RUN :
Rocky EST l'Amérique, les poules SONT l'Angleterre…
Fowler, l'autre coq, ancienne mascotte de la
R.A.F. symbolise la vieille Angleterre (son
dessus de lit est taillé dans l'Union Jack (!)), ivre de discipline
et de gloire passée (style Alec Guinness) et qui ne veut pas
entendre parler de ce prétentieux coq yankee qui était où,
au fait, quand on avait besoin de lui ?
Mac, le poulet écossais "ingénieur"
(Rocky ne comprend pas un mot de ce qu'il raconte dans son
accent à couper au couteau…) est cérébralement brillant mais
ne peut rien faire aboutir sans l'aide pratique du coq américain
(Mac, c'est Richard Attenborough dans le film de Sturges)…
Les poules, dans leur ensemble,
bavent devant l'aura de Rocky, vedette de cirque (comme qui
dirait star de cinéma) et rivalisent pour ses beaux yeux.
On pense ici encore à beaucoup de films sur le stationnement
des GIs en Angleterre, faisant tourner les têtes des jeunes
filles british avant de partir se faire massacrer sur les
plages normandes…
Ginger, elle, représente toutes
les vertus (authentiques) des habitants la grande
île: courage, obstination, farouche esprit d'indépendance,
sens de la solidarité, ingéniosité, mais aussi un sentimentalisme
qui n'ose jamais s'avouer (vous avez le choix pour une vraie
actrice: Claudette Colbert, Jean Arthur, Emma Thompson…)
Quand à Rocky, avec
son bandana autour du cou, il est plus que parfait: hâbleur,
charmeur, prétentieux, séduisant, ne doutant jamais de lui,
se présentant sous une supercherie qu'il saura surmonter à
l'occasion (le coq faussement volant représenterait-il l'Amérique
faussement démocrate ?), à tendance isolationniste (il s'enfuit
vivre sa vie avant de revenir), mais avec, au fond, un cœur
d'or… Ah oui, bien sûr, il danse bien le Rock et le Boogie…
(dans son rôle, j'imagine parfaitement Clark Gable, voire
Tony Curtis)…
Le coup de génie de ce (faux) remake est bien
sûr de ne pas avoir de vrais acteurs en chair et en os mais des
personnages en pâte à modeler
! Un
travail titanesque ! Quatre ans de travail,
plus de 400 figurines (dont les tailles vont jusqu'à 30 cm), plus de
3 tonnes de matériau et une animation image par image… A l'arrivée,
une inventivité incroyable, une mise en scène digne des meilleurs
moments de The
Wrong Trousers, le meilleur
Wallace et Gromit.
La rencontre entre Nick
Park et Peter
Lord, les Anglais du célèbre studio Aardman, qui adorent
(dans la meilleure tradition anglaise) se moquer des travers de
leurs compatriotes (voir les précédents courts-métrages d'animation
en pâte à modeler, l'hilarant "Creatures Comfort", où les
animaux du zoo de Londres confient à une équipe télé les
vicissitudes de leur vie, et les trois fabuleuses aventures de
Wallace et Gromit) et un studio américain, Dreamworks,
celui de Steven
Spielberg, parfait représentant de la "bonne et gentille"
culture US, ne pouvait que donner un résultat tout à fait
intéressant. C'est le cas, non, mieux, c'est génial !