Mari Iyagi (2002) de Sung Gang Lee
sortie en France prévue le 28 Mai 2003

Rêve aux parfums d'enfance ou enfance au parfum de rêve ?

Flash-back vers l'enfance

Après une journée de travail particulièrement difficile, pendant laquelle rien n'a été comme il l'aurait voulu, Nam-Woo rencontre un de ses amis de jeunesse, avec lequel il passe la soirée. Au moment de se séparer, l’ami lui remet un objet qui va le replonger dans de vieux souvenirs.
C’est à un voyage dans le temps et les rêves d’enfance que nous invite Mari Iyagi. Le film est l’occasion pour le réalisateur de donner vie à l’imaginaire du jeune adolescent qu’il était.

Ainsi, après une phase de présentation assez rapide, le film plonge (dans tous les sens du terme) vers le passé, un passé qui se révèle à la fois simple à décrire et difficile à vivre, où les frustrations alternent avec l'émerveillement.
A travers quelques scènes de vie quotidienne, on découvre quelle était la vie dans un petit port coréen il y a dix ou quinze ans. Un village de pécheurs, une école, un vieux phare voué à la destruction, et l’océan constituent le décor ou évolue Nam-Woo.

Entre rêve et réalité

C’est justement à travers le rêve que Nam-Woo fuit une réalité familiale difficile (sa mère a rencontré un homme avec lequel elle souhaite vivre) et sublime ses premiers émois d’adolescent. L'ancien phare est un des lieux de ses rêveries où, par une bien étrange magie, il finira pas "passer de l'autre côté" pour vivre une troublante rencontre...

Son père étant décédé quelques années plus tôt, sa famille se réduit à sa mère, un peu dépassée par l’éducation de son fils, et sa grand-mère à la santé chancelante.
Et puis il y a les copains, surtout Joon-Ho qui est son complice dans ses activités buissonnières.
Dernier élément non négligeable : les filles, pour lesquelles les deux amis commencent à éprouver un intérêt certain, mais sans aller beaucoup plus loin que le rêve !

Nam-Woo n'est pas un adolescent facile, et sa façon de traiter sa mère notamment est étonnante de réalisme : exigeant de la nourriture quand il a faim, quittant la maison sans un mot, il est le parfait exemple de l'ado mal dans sa peau, qui tente de prendre ses distances avec sa famille. Mais contrairement à ce qu'on pourrait craindre, l'objet du film n'est jamais de juger ou de donner une leçon par rapport aux situations que connaissent les personnages. Malgré son mal-être, Nam-Woo vit aussi des moments merveilleux. Le film est plutôt une invitation à redécouvrir et à partager cette saveur émotionnelle, cette magie du regard et du ressenti d'un jeune garçon à l'aube de l'adolescence, incarnée et magnifiée par l'étrange fille de l'autre monde, la belle Mari.

 

Du coup, la mise en relief des éléments de l'image repose sur un jeu éminemment subtil de contrastes de couleurs et de lumière, et donne au spectateur le sentiment d'être face à une forme tout à fait originale de cinéma d'animation.

Si l'outil est très élaboré, il n'en demeure pas moins que les mouvements sont manifestement l'oeuvre d'animateurs qui ont travaillé avec soin, créant chaque plan avec un grand réalisme.

Innovation graphique

Si le film a été réalisé avec des moyens relativement limités, il s'agit pourtant d'une oeuvre remarquablement innovante sur le plan technique. En particulier, les dessins et l'animation ne comportent pas les traits de contours qui sont de mise dans les dessins animés traditionnels.
Au lieu de réaliser préalablement des dessins en contours et de procéder ensuite à la mise en couleur, les animateurs ont directement travaillé avec des outils infographiques.


Le réalisateur a su éviter les pièges que pouvaient lui tendre ses choix plastiques, affichant d'emblée une maîtrise pleine de sensibilité de ce graphisme si original, et parvenant à rendre ses personnages particulièrement touchants.
Sung Gang Lee, on n'en sera pas surpris, était plasticien avant de devenir réalisateur. Il a d'ailleurs déjà prouvé son talent dans plusieurs courts-métrages dont la diffusion est restée contingentée à quelques festivals. Pour ce film, partiellement autobiographique, il déploie un sens de la mise en scène et du cadrage qui impose le respect.


Le film, nous l'avons dit, a un parfum onirique. Un des défis de la mise en scène est précisément de faire passer le spectateur du monde réel, qui est déjà un monde recrée par l'animation, à un monde totalement imaginaire dans lequel Nam-Woo rencontre la jeune fille qui donne son titre au film. Sur le plan visuel, l'étrangeté qui se dégage de ces scènes se mêle d'une poésie contemplative, un émerveillement silencieux qui touche à une grâce, à une émotion digne d'un Miyazaki. Parvenir à faire ressentir au spectateur la poésie du quotidien à travers les faits les plus ordinaires, et le faire s'envoler d'un souffle dans un rêve éveillé, ce n'est pas là le genre de prouesse cinématographique à la portée du premier venu.



Par ce premier film, Sung Gang Lee a non seulement conquis le jury du festival d'Annecy, obtenant le prix du meilleur film d'animation en 2002, mais il a surtout donné au public la preuve que la Corée n'est pas seulement un lieu de délocalisation pour la production de films d'animation européens. A présent que Monsieur Lee nous a offert cet authentique chef d'oeuvre, gageons que les amateurs de belle animation seront attentifs à la suite de sa carrière.

Gildas

 


Nam-Woo et la belle Mari

 

Pour en savoir plus

voir les dossiers sur le site frames.free.fr et sur folioscope.