-ATTENTION A LA DERIVE -

posté par 'Hascah'
sur le forum d'
Allociné
reproduit avec le consentement de l'auteur
le 02/06/2002

 

Que ce soit conscient ou non, on adhère tous au langage cinématographique de Hollywood. Et c'est une bonne chose car les américains sont de loin les meilleurs pour ce qui est de faire des films qui plaisent massivement au public.

Mais je vois de plus en plus de gens qui commencent à confondre la valeur cinématographique d'un film avec sa valeur de divertissement!

 

 

Dès qu'il y a un Miyazaki qui sort au cinéma, on nous sort des sujets du type: "Disney, c'est mieux que Ghibli"...

C'est une énorme erreur que de prendre la sobriété et la justesse du cinéma de Miyazaki pour des insuffisances stylistiques!

Et c'est complêtement ridicule de juger un film d'auteur selon des critères de divertissement! Avec cette façon de juger les films, qu'est-ce que ça vaudrait Taxi Driver?

 

 

Ghibli ne fabrique pas du "manga".

La seule chose qui préoccupe Miyazaki sur le plan financier, c'est d'amortir les frais. Et il faut savoir que Ghibli reste une exception au sein de la production animée au Japon:

Jusqu'à Princesse Mononoke, le réalisateur a toujours risqué la survie du Studio en faisant des dessin-animés d'auteur anti-conformistes.

Il s'est d'ailleurs fait l'avocat du diable en refusant systématiquement de montrer aux spectateurs japonais ce qu'ils ont envie de voir (les stéréotypes classiques des mangas transposés en animés)

Il est donc bien mal venu de considérer Miyazaki comme le fer de lance de la japanimation!

L'animation japonaise, c'est essentiellement du divertissement dont les meilleurs représentants sont des réalisateurs de films d'action tels que Kawajiri (Bloodlust, Ninja Scroll).

 

Le travail de Miyazaki ne doit donc pas être apprécié juste comme de l'animation, mais comme du cinéma!

Ceux qui n'ont pas aimé Chihiro devraient donc plutôt se demander s'ils sont capables d'envisager le cinéma autrement que sous la forme de films formattés pour le grand spectacle!

 

 

 

Il y a en effêt un malaise lié à la surabondance

des films de divertissement au cinéma:

Beaucoup de spectateurs qui ne se rendent pas compte qu'ils ne savent carburer qu'aux émotions fortes.

Ils n'ont peut-être même jamais ressenti autre chose que des émotions conditionnées par une mise en scène efficace au service de situations extrèmes.

Donnant leur avis sur un autre cinéma, ces mêmes personnes arrivent finalement à se ridiculiser en prouvant qu'ils ne sont pas capables de reconnaître de l'Art...

 

Mais à qui la faute?

Observez la façon de travailler chez Disney: ils discutent d'abord avec le(s) réalisateur(s) pour comprendre ce qu'il veut exprimer dans telle ou telle scène. Ensuite, ils travaillent la séquence de sorte que ce soit "le mieux possible sur le plan de l'émotion".

Susciter l'émotion à tout prix est tout simplement devenu le mot d'ordre du cinéma de divertissement!

Le bon côté des choses, c'est que Hollywood a fabriqué les films les plus impressionnants qui soient et notre imaginaire à de quoi être comblé devant une qualité grandissante: on nous a habitués à exiger toujours plus d'effêts spéciaux, plus de scènes d'action, plus d'effêts sonores... Et tant mieux!!

 

Mais ce qui m'énerve rapidement, c'est de constater que trop de gens veulent systématiquement appliquer les critères de qualité des films commerciaux à tout ce qu'ils regardent!

Ce n'est pas l'industrie du cinéma de divertissement qui est en cause, mais le fait que le spectateur moyen n'est pas capable d'apprécier autre chose!

 

 

J'entends trop souvent des commentaires déplacés sur "Chihiro", c'est dire à quel point notre façon de regarder les films a été conditionnée:

 

"Avec des gros-plans, un meilleur montage et une caméra en mouvement, cette scène de poursuite aurait été nettement mieux."

"Pourquoi la caméra ne regarde pas en bas quand l'héroïne se retrouve devant un gouffre?"

"Le scénario est confus, les messages à passer ne sont pas clair. Bref, ça manque de maîtrise mais c'est sympa."

"Ils auraient dû mettre la musique beaucoup plus fort ici et le son est pas assez intense quand il le faut."

"Les derniers plans sont bâclés. Ils auraient dû en rajouter au moins 1 sur l'héroïne à l'arrière de la voiture."

 

En revoyant le film, on peut comprendre sans tricher qu'il s'agit de choix pertinents et qu'ils ont un impact non négligeables sur le film dans son ensemble.

 

SIZE DOES MATTER (Godzilla)

 

Dans un mauvais film de SF... plus c'est gros, plus ils sont nombreux et plus c'est impressionnant!

"Chihiro" se situe à l'opposé de ce système de valeurs: ce n'est pas un film commercial qui a la prétention d'offrir des émotions fortes.

C'est un film qui parle de la vie.

Pas étonnant qu'il ne plaise pas à un public qui n'adhère qu'à des scénarios qui sont à peine plus que le prétexte à des mises en scène spectaculaires.

Pas étonnant non plus que ces personnes-là soient passées à côté des thèmes du film!

 

Prenons par exemple le design de la sorcière Yûbaba:

Miyazaki a fait exprès de ne pas révéler sa taille réelle à ses collaborateurs! Pourquoi?

Devant la maison du Fond du Lac, Chihiro parle à Zénîba sans lever les yeux puisque Zénîba est juste à la bonne taille.

C'est quelque chose que l'héroïne ne pourra faire avec Yûbaba (la société que lorsqu'elle aura grandi.

Pourtant, les deux sorcières ont exactement la même taille.

Mais ce détail fait que Zéniiba ne regarde pas la petite fille de haut à la fin. C'est intuitivement important: ça nous fait ressentir le fait que Chihiro a évolué sans qu'on ressente le besoin d'expliciter le message!

 

De la même façon, il y a des secrêts de fabrications liés à l'origine de la maison des petites filles dans Totoro (une personne très malade y est morte)

Dans Princesse Mononoke, il y a des spectateurs qui n'ont toujours pas compris pourquoi il n'y a pas de lip-synch sur les animaux quand ils parlent.

L'explication est que Miyazaki évite autant que possible l'anthropomorphisme dans ses films (l'homme comme modèle de représentation des animaux). Il a d'ailleurs affirmé:

"Je crois que les humains, les animaux et les végétaux

sont au même niveau."

 

 

Des émotions fortes et des émotions authentiques

 

Faut-il se forcer à se creuser la tête pour apprécier le cinéma d'auteur? Je suis convaincu que non.

De toutes façons il est faux de croire qu'on peut mieux apprécier un film en utilisant son cerveau pendant la projection. S'il y a matière à penser, ce doit uniquement être entre deux scéances.

Ce qui fait sa particularité, c'est qu'un bon film d'auteur est capable de susciter des émotions authentiques chez le spectateur.

Encore faut-il que le spectateur soit capable d'en ressentir!

 

C'est justement le problème.

Les dérives du cinéma de divertissement, c'est de risquer de ne plus être capable d'exprimer des émotions authentiques. Au lieu de ça, il va susciter des sensations artificielles, de plus en plus intenses.

Il n'y en a pas tellement, des blockbusters qui ont une âme!...

 

Avec cette confusion flagrante entre cinéma et cinéma de divertissement (le 1er contient une partie du 2ème), certains en viennent même à considérer que les films à grand spectacle sont les seuls dignes d'intérêt. D'où des arguments du type

"Le film que je défends a fait 100 fois plus d'entrées que

ton chef d'oeuvre. Tu vois que ton film est pas terrible?"

 

C'est comme ceux qui prétendent qu'ils pratiqueraient plutôt un sport extrème à un sport d'endurance mais qui ne font rien. Ils finissent par oublier ce que c'est que l'effort.

C'est bien typique de l'époque, ça...

De la même façon, les émotions fortes ne peuvent pas remplacer de vraies émotions au cinéma. Un spectateur qui a bon goût devrait ressentir le besoin de retrouver les deux (pas forcément dans un même film)

 

D'ailleurs, à force de vouloir absolument interpeller le public, des réalisateurs finissent parfois par agresser le spectateur (bruitages insupportables de perceuse dans Panic Room, caméra qui reste trop longtemps bloquée sur des très gros plan dans une scène de discussion d'un autre film,...).

L'énervement que l'on peut éprouver devant le manque de pertinence de la réalisation est malheureusement une émotion véritable qui joue en défaveur du film dans son ensemble.

 

Pour finir, je dirais que ce ne serait pas plus mal d'éviter la surconsommation de produits de divertissements juste parce qu'on ne sait pas quoi faire de ses soirées ou pire, pour rentabiliser sa carte d'abonnement!

Il faut savoir apprécier des genres différents et éviter d'avoir le mauvais goût de justifier la qualité d'un film avec des chiffres du box-off.