Interview de Frédéric Back

M. Back a eu la grande gentillesse de répondre aux questions de nos amis de Buta-connection, en exclusivité pour la 7ème Ombre.

 

Buta connection : Nous avons remarqué, en visionnant chronologiquement votre œuvre, que la cible semble avoir changé au cours du temps. Dans vos premiers travaux, il semblerait que le public visé soit enfantin (en utilisant l'esprit des contes pour enfants) Par la suite vos œuvres s'adressent à un public de plus en plus mature ou plus averti. Comment expliquer ceci ? Est ce une transition entre l'esprit qui animait les émissions pour enfants avant votre entrée à Radio Canada, vers une prise de conscience de liberté d'expression qui vous dirigea vers une maturation des sujets et surtout des idées que vous tentez de faire passer (écologie, prise de conscience etc...)?

Frédéric Back : Depuis 1952 j’ai travaillé pour les émissions Tv de Radio Canada comme illustrateur, réalisateur de maquettes de villes, forts ( a grande échelle), et pour des émissions à caractère scientifique.
Dès 1954 j’ai fait des films en dessin animé pour des titres d’émissions, sur des œuvres musicales, ou d’après des textes, mais toujours a très courts délais ; de quelques jours, quelques semaines au plus. Ce n’est qu’à partir de 1968 qu’il y a eu un studio d’animation à Radio Canada., avec caméra, caméraman et une monteuse. Tout cela était du à l’intervention d’Hubert Tison, qui est devenu le producteur du studio, de même qu’un précieux conseiller et ami. C’est grâce à lui que j’ai consacré tout mon temps à cet art, et essayé de faire des progrès techniques, n’étant plus confronté au bricolage.
En 1970 Hubert Tison a proposé un échange international de films pour la jeunesse. En échange du film produit les pays participants recevraient gratuitement les productions des autres pays. 12 ou 14 films pour le prix d’un. C’est ce qui m’a permis de faire sur des thèmes dont je créais aussi les scénarios. A Radio Canada, les émissions jeunesses tenaient une grande place et comme j’ai fait énormément de travail pour ce secteur j’étais bien à l’aise, mais l’intelligence des enfants n’a pas de limites et je voulais aussi les prémunir contre les tentations et les déceptions des adultes. Pour cela, peu à peu j’ai orienté le discours dans ce sens, essayant aussi de donner des outils aux parents , enseignants ou organisations, souvent démunis, ou bien mal à l’aise pour mettre ce genre de réflexions en route. Je suis heureux de voir qu’après tant d ‘années, ces films faits en toute modestie continuent d’être utilisés en ce sens.

BC : Parallèlement et toujours chronologiquement on remarque que les techniques et graphiques et d'animation ont évolués. On passe du feutre et du découpage, àde l'animation crayonnée sur feuille d'acétate.
Alors que vous pratiquez de manière exceptionnelle le dessin, pouvez-vous nous expliquer quelles ont été les causes et les inspirations pour l'adoption de ces différentes techniques tout au long de votre œuvre?

FB : A la télévision de Radio Canada la cadence de production était rapide éphémère, mais généralement j’etais passionné par les sujets proposés et donnait mon maximum et en qualité et en quantité pour les faire valoir. Donc en animation j’avais aussi des délais très courts ( 3 mois pour un film de 10 minutes ) et la technique utilisée et recherchée était celle correspondant le mieux possible aux problèmes à résoudre dans le minimum de temps… Je travaillais seul avec occasionnellement une assistance de courte durée pour finaliser à temps. Pour cette raison, les animations au crayon sur feuille d’acétate dépoli présentaient plusieurs avantages, car les choses peuvent être juste indiquées partiellement, colorées immédiatement. Je travaillais directement sur l’acétate, n’ayant pas le loisir de faire des dessins sur papier préliminaires, la spontanéité était une forme d’atout, d’erreur aussi, souvent car beaucoup ont atterris à la poubelle.

BC : L'animation de L'homme qui plantait des arbres et celle du Fleuve au grandes eaux semble fixer un type d'animation. Ce type et cette finesse du dessin, ainsi que les mouvements de caméra dans l’animation elle-même que vous utilisez dans ces deux films semblent sceller votre style graphique / d'animation.
Considérez-vous qu'il s'agisse de la conclusion de plusieurs années de recherches techniques et graphiques? Ou le choix quant au style graphique / d'animation est un choix délibéré pour chacune de vos œuvres?

FB : Chaque film était pour moi une répétition pour essayer de faire mieux la fois suivante. Lorsque la caméra fut équipée d’un ordinateur permettant de rendre la caméra automatique pour 7 mouvements bien calculés, et fiables, cela permettait de prévoir des mouvements plus sophistiquer sans risquer de tuer le cameraman… Le tournage le plus complexe est sans contredit celui du fleuve aux grandes eaux. Radio Canada voulant éliminer le studio d’animation et affectant les animateurs à d’autres tâches, j’ai utilisé le prestige des mes 2 oscars pour conserver une caméra et un cameraman, et proposé un scénario en faveur de l’eau si précieuse. Dans le contexte de lutte et un sujet si immense à traiter, je ne cherchais qu’à faire un film qui renseigne sur des animaux des situations et des histoires que 99 % des gens ignorent. Je n’ai pas eu le temps, ni le budget, ni l’appui, pour présenter le texte d’information nécessaire d’une manière plus suggestive et originale. Je voulais 3 voix d’homme et une voix de femme disant tour à tour des éléments du texte, mais avec des fondus, les laissant venir et disparaître comme des réflexions scellées dans l’air des temps passés, se découvrant par hasard au cours du voyage.

BC : Comment se fait il que vous ne soyez pas tombé dans le moule de l'animation sur celluloïd / gouache ?

FB : Dans cette technique trop utilisée, on doit tout dessiner et colorer alors que 60% de ce qui est dessiné et sans intérêt, et que les lignes sont monotones et sans expressions artistique. Dans Illusion ? je mettais des couleurs à la bonne franquette et ne peignais pas jusqu’à la ligne, de manière à faire jouer le fond autour de la tâche.

BC : N'avez vous jamais été tenté par le défi du long métrage. Quels sont les éventuels causes qui vous ont conduits à ce format de court-métrage ?

FB : Pourquoi traiter pendant 100 minutes ce que l’on peut dire en 30 ? C’est une heure de gagnée pour faire autre chose ou penser. Tous les films de Abracadabra à Crac ! etaient courts (de 8 à 15 minutes) et sans paroles afin de favoriser l’échange international.


BC : Rares sont les films d'animation ou la bande son / musique prend une telle place. Jusqu'à même "remplacer" de manières subjectives les dialogues comme pour transmettre directement l'émotion. De là découle une richesse impressionnante qui renforce la sensibilité personnelle dans notre vision personnelle du film. Pouvez nous en dire plus quant à votre participation à la bande son / musicale de vos films ?


FB : J’ai eu la chance de travailler avec Normand Roger pour la plupart des films. Il sait faire « parler «  la musique, et pour chaque film il a su développé une approche appropriée à ce que je souhaitais. Je lui fournissais une liste de sons précis, et de musiques qui me paraissaient convenir. Mais il était libre d’en tenir compte ou non.


BC : L'absence de dialogue entraîne une certaine subjectivité, mais dans vos deux derniers films il semble que le choix de la narration restreigne cette subjectivité surtout dans le Fleuve aux grandes eaux qui a un caractère plutôt documentaire. Comment expliquer ce changement ? Etait-ce délibéré? Pensez-vous que le film a plus d'impact en se révélant sur une facette objective.

FB : L’image laisse un degré de liberté d’interprétation qui, selon le degré de connaissances, de sensibilité du spectateur prend des aspects bien différents. Les sons et la musique ajoutent énormément à l’impression ressentie, et chaque spectateurs, chaque visionnage aussi, engendre des réactions particulières. Pour le fleuve aux grandes eaux , il n’y avait malheureusement pas de beau texte existant ayant la valeur de celui de Fiona, mais je crois qu’il y a plusieurs passages de valeur qui donnent la dimension non visible dans les images. Dans la version anglaise ( publiée par les films du paradoxes ) nous avons eu le temps de retravailler le texte, d’en éliminer un peu, et la fin est plus forte, plus logique.

BC : Quels sont les projets que vous auriez aimé adapter en film d’animation et avez-vous des projets en préparation ?

FB : Il y a bien des scénarios et des idées qui sont restés dans mes tiroirs, mais je crois qu’ils moisiront dans cet état. Il y en a de terribles qui concernent la surpopulation et la destruction des autres vies pourtant si extraordinaires. Pour moi les animaux sont (sans le savoir, sans le vouloir) les plus grands bienfaiteurs de l’humanité, et je suis révolté par la manière dont on les exploite et les élimine.
Il y aussi Le petit Prince, Ravel et Chagall , tous des projets bien ambitieux qui dépassent mes forces et mes compétences, alors je me rabats sur des plantations d’arbres, la défense des forêts, des animaux et de la paix, de l’harmonie, par des dessins, des écrits , du soutien, espérant que le succès de mes films encouragera d’autres producteurs et animateurs à créer et renouveler ces messages si importants pour faire contrepoids à tout le cinéma de violence, de vide destructeur et d’énervement inutile, qui ne vit que d’effets fantastiques, alors que nous sommes encore, pour un moment, dans une extraordinaire réalité qui est pratiquement sans défense devant l’ambition de puissance, démesurée, de l’humanité.

 


Les membres de Buta Connection tiennent à remercier chaleureusement Frédéric Back pour nous avoir consacré de son temps avec les qualités qui le caractérisent : patience et générosité.